Il y a 126 ans naissait Tazio Nuvolari, un Italien à qui un officier avait déclaré “oublie l’automobile, ce n’est pas fait pour toi”. Inarrêtable, il deviendra pourtant une légende du sport automobile.


Dans la campagne lombarde, un avion essaye de décoller. A son bord, Tazio Nuvolari, un jeune homme de 18 ans. Passionné de mécanique, il vient de récupérer les pièces de l’appareil et décide de le remonter. Mais l’expérience tourne court, l’engin prend feu. Le pilote s’en sort en sautant dans une botte de foin. Une témérité et une chance qui se retrouveront tout au long de sa carrière.

Un talent incomparable

Après plusieurs années de compétition en amateur, Nuvolari devient professionnel. En 1924, il remporte le championnat d’Italie de vitesse moto. La même année, il participe à quelques courses automobiles. C’est là que, pour la première fois, il croise la route d’Enzo Ferrari, alors encore pilote automobile. Roulant sur une puissante Alfa Romeo quand Nuvolari n’a qu’une modeste Chiribiri, le futur Ingeniere se souvient : « Au début je n'ai pas donné trop de crédit à ce maigrelet. Mais pendant la course, j'ai réalisé que c'était le seul concurrent capable de me contester la victoire. »

Après plusieurs saisons à enchaîner victoires et abandons, c’est en 1930 que le pilote rencontre vraiment la popularité. Cette année-là, il participe à la grande course des Mille Miglia, entre Brescia et Rome. A la nuit est tombée, il est troisième. Il décide alors de rouler sans allumer ses lumières et part en chasse de la tête du peloton, qu’il dépasse sans que personne ne s’en rende compte. Ce n’est qu’à l’approche de la ligne d’arrivée qu’il rallume ses feux et gagne, à la stupéfaction de ses concurrents.

Un autre de ses coups de maître a lieu cinq ans plus tard, lors du Grand Prix d’Allemagne. Les Mercedes-Benz et Auto Union sont les grandes favorites de cette course. L’Italien n’a qu’une vieille Alfa Romeo P3 bien moins puissante que ses rivales allemandes. Pourtant, il arrive à prendre le dessus, se battant jusqu’au dernier tour. Il remporte l’épreuve contre toute attente, pour le plus grand plaisir des 300 000 spectateurs. Les organisateurs, eux, sont moins ravis. Persuadés d’une victoire allemande, ils n’ont pas prévu la partition pour jouer l’hymne italien sur le podium.

Victoire de Tazio Nuvolari au GP d'Allemagne de 1935

Après la course, il répond aux questions des journalistes. Un échange est resté dans l’histoire :

Journaliste : Où trouvez-vous le courage de grimper à chaque fois dans votre cockpit ?
Nuvolari : Et vous ? Où espérez-vous mourir ?
Journaliste : Moi ? Chez moi, j'espère ! Dans mon lit !
Nuvolari : Où trouvez-vous le courage de vous glisser chaque soir dans vos draps ?

Un corps inarrêtable

Cet échange représente bien l’esprit du pilote. Si Tazio Nuvolari a un talent incontestable, tant en moto qu’en voiture, un autre élément forge sa légende : sa résilience à toute épreuve. Qu’importe les obstacles, rien ne semble lui faire peur, rien ne semble pouvoir l’arrêter. « Nul n'a, comme lui, combiné une si haute sensibilité de la voiture à un courage presque inhumain » dira Enzo Ferrari.

En 1925, il est invité par Alfa Romeo pour piloter une monoplace lors d’essais privés à Monza. Au sixième tour, il est violemment éjecté de sa voiture et se casse les deux jambes. Plâtré, il doit se reposer pendant un mois. Pourtant, à peine une semaine plus tard il se rend au Grand Prix des Nations à Monza. Inarrêtable, il demande à ses mécaniciens de l’attacher à sa moto et de le tenir jusqu’au départ. Ceux-ci le rattrapent quand il passe la ligne d’arrivée en vainqueur, remportant par la même occasion le titre de Champion d’Europe de vitesse moto.

Incassable, l’Italien connaît encore deux gros accidents qui ne semblent pas l’affecter. En 1934, il fait modifier le pédalier de sa Maserati pour pouvoir conduire avec un pied dans le plâtre et finit la course en cinquième position. Deux ans plus tard, une crevaison lors des qualifications du Grand Prix de Tripoli l’éjecte de sa voiture. Il en ressort avec de multiples contusions et deux vertèbres fracturées. Engoncé dans un corset de plâtre, se battant contre la douleur, il prend tout de même le départ de la course le lendemain, qu’il termine huitième.

Une seule chose semble faire peur à l’Italien : s’arrêter. Tenant une concession automobile en plus de ses activités sportives, il déclare après sa victoire des Mille Miglia de 1930 : « Pour moi, la partie la plus difficile de la course a été quand Vittorio Jano m'a enfermé dans une chambre, me forçant à me reposer pendant plus de cinq minutes. »

Tazio Nuvolari à bord de sa voiture, 1932

Un esprit libre

Nuvolari est aussi connu pour son caractère et son sens du bon mot. En 1930, il s’emporte après son patron, Enzo Ferrari, qui a attendu la fin de la course pour lui donner son billet retour : « Vous m'aviez donné uniquement le billet aller parce que, quand vous partez pour une course, vous devez prévoir la possibilité de revenir avec un coffre en bois ! »

Lors du Grand Prix de France 1932, Alfa Romeo domine totalement la saison. L’écurie a le luxe de choisir l’ordre d’arrivée de ses pilotes et décide alors de prouver qu’elle peut arriver à gagner sans Nuvolari. En course, un drapeau rouge est agité pour lui demander de rentrer dans les stands et donner ainsi l’avantage à son coéquipier. Il ignore ce message et continue sa course jusqu’à la victoire. « J'ai vu un signal venant des stands mais comme j'avais des lunettes vertes, le drapeau me semblait plutôt vert que rouge et j'ai accéléré. Caracciola pouvait aussi accélérer et me passer… » se justifie l’Italien.

Une légende

Sa carrière s'essouffle après la Seconde Guerre mondiale. Il continue à participer à quelques courses et à obtenir de bons résultats, mais sa santé le rattrape. Asthmatique à force d’avoir respiré des gaz d’échappements toute sa vie, il doit en permanence tenir un masque pour respirer correctement. Il dispute sa dernière épreuve à Palerme, la course de côte Salita al Monte Pellegrino. A bord d’une Cisitalia-Abarth 204, il remporte une ultime victoire.

Ses nombreux succès, ses coups d’éclat et sa témérité ont petit à petit forgé sa légende. Depuis son décès, en 1952, quatre voitures ont été nommées en son honneur : la Cisitalia 202 Spider “Nuvolari”, l’Alfa Romeo Nuvola, l’EAM Nuvolari S1 et enfin l’Audi Nuvolari Quattro

« C'était un homme qui a violenté son quotidien et a accompli des choses qui, pour tout un chacun, étaient absurdes… Pour les jeunes de l'époque dont je faisais partie, Nuvolari représentait le courage, un courage sans limite. Il était un mythe inaccessible. » - Michelangelo Antonioni