Juin 1906, le premier circuit automobile du monde est fin prêt. Très vite, il deviendra un lieu incontournable pour les passionnés d’automobiles, mais pas seulement…  


Vous pouvez lire la première partie de l’histoire racontant la genèse et la construction du circuit ici.

Inauguration, première course et premier record

Ethel Locke King mène la parade d'inauguration du Circuit de Brooklands

Le 17 Juin 1907, le Brooklands Motor Circuit est officiellement inauguré. Hugh ouvre la cérémonie devant un parterre de passionnés d’automobile, pilotes et constructeurs. Ethel mène ensuite la parade de quarante-trois voitures autour de la piste, toujours à bord de son Italia “Bambo”, son époux sur le siège passager. Le circuit est ouvert, leur pari fou est gagné.

La première course doit se tenir trois semaines plus tard. Mais avant cela, le pilote australien Selwyn Edge s’est lancé un défi : rouler pendant 24 heures sans pause ni changement de pilote. On pense alors que c’est impossible, qu’il “perdrait la raison après 18 heures”. Il se présente tout de même à bord d’une Napier 16-H.P. Deux autres voitures font également parties de l’aventure, mais conduites par quatre pilotes se relayant. Plus de 350 lampadaires sont installés pour illuminer la piste de nuit.

Edge parvient au bout de son pari fou, sans rien perdre de sa raison. Il boucle ses 24 heures en ayant parcouru environ 2500 kilomètres, à une vitesse moyenne de 106 km/h. Ce record restera imbattu pendant 18 ans.

Selwyn Edge à bord de sa Napier 16-H.P

Nul doute que ce record ainsi que la proximité de Londres, aident au succès de la première course de Brooklands, le 6 juillet 1907. Ce sont plus de 10 000 spectateurs qui se pressent pour admirer ce nouveau sport.

A l’époque, les codes des courses hippiques sont repris dans le sport automobile. Afin d’intéresser le public, la presse appelle souvent Brooklands le “Ascot du moteur”, en référence au fameux hippodrome. Il n’y a pas de numéros sur les voitures, mais les pilotes portent, comme les jockeys, des tenues aux couleurs vives pour être différenciés. Six courses de moins de 50 kilomètres sont tenues ce jour là.

Muriel Thompson sur son Austin

Les femmes ne sont pas autorisées à concourir dans cette première course. Ce n’est qu’un an plus tard que la première course féminine a lieu à Brooklands. Neuf participantes s’alignent au départ, dont la propriétaire des lieux. Ethel se classe 2ème avec son Itala Bambo, derrière l’écossaise Muriel Thompson sur une Austin et devant Christobel Ellis sur une Arrol-Johnson. Après cette course, l’automobile club de Brooklands bannit les femmes pilotes jusqu’en 1928.

D’une guerre mondiale à une autre

Percy Lambert au volant de sa Talbot 25/50 hp

15 février 1913, une foule de curieux et de nombreux journalistes se pressent à Brooklands. Aujourd’hui, le pilote Percy Lambert va tenter de battre un record de vitesse. Savent-ils qu’ils vont assister à une première historique ? Devant leurs yeux, le pilote atteint les 103,85 miles par heure (167km/h environ), devenant ainsi la première personne à dépasser les 100 miles par heure. Quelques mois plus tard, il se tue alors qu’il tente de battre ce record. La légende raconte qu’on le croise encore à Brooklands, vêtu de sa combinaison de pilote.

La Première Guerre mondiale ralentit l’activité sur le circuit. Ethel s’implique totalement dans l’effort de guerre et transforme le domaine en un hôpital de la croix-rouge pour les blessés revenant du front. Elle reçoit la distinction de Dame Commander of the Order of the British Empire en 1918 pour tout le travail qu’elle a mené pendant la guerre dans la région.

Ethel Locke King (à droite) pendant la Première Guerre mondiale

Quand la guerre se termine, les durs hivers et le manque d’entretien ont dégradé la piste. Par endroit, le béton s’est soulevé, tandis que le pont s’est légèrement enfoncé dans le sol marécageux. Le circuit est alors plein de bosses et à la sortie du pont, les voitures s’envolent dans les airs. Le circuit devient célèbre pour ses fortes vibrations. Les voitures, jusque là étroites et fines, se modifient pour supporter les pièges de la piste.

Ethel continue à être très impliquée dans la gestion du circuit, même après la mort de son mari en 1926. Ce n’est qu’en 1936 qu’elle vend ses parts à une société formée pour l’occasion. Après des années passées à soutenir la vision de son mari, elle ne se sent plus la force de continuer, notamment à cause de son âge avancé (elle a alors 72 ans). Elle continue cependant à aller aux courses et inaugure la nouvelle branche du circuit, le “Campbell Circuit” en 1937.

Le circuit continue d’accueillir de nombreuses courses jusqu’en 1939, masculines comme féminines. Il accueille notamment le premier Grand Prix de Grand Bretagne en 1926, suivi par un second en 1927.

Images du Premier Grand Prix de Grande-Bretagne - 1926

Des avions parmi les voitures

Le domaine de Brooklands n’est pas seulement un circuit automobile, il accueille également un aérodrome. Toujours passionné par les nouvelles technologies, Hugh offre en 1907 un prix de 2500£ pour celui qui survolera le premier le tour complet du circuit. Un aérodrome est construit dès 1909 et brooklands devient vite un vrai village pour l’aviation.

Quand la Première guerre mondiale éclate, le domaine compte dix écoles de pilotages, ayant entraîné un nombre record de 300 pilotes. La première école fut ouverte en 1911 par Hilda Hewlett, la première femme à recevoir une licence de pilote. La même année, un bureau vendant des billets d’avions s’installe, encore une fois une première mondiale.

L'aérodrome de Brooklands en 1933

Lorsque la seconde guerre mondiale éclate, l’activité aérienne prend le dessus. De nombreuses usines d’avions sont localisées autour de l’aérodrome de Brooklands, et doivent désormais produire des avions militaires. La piste blanche du circuit est facilement reconnaissable, rendant vulnérable la zone si les Allemands la survolent. Il faut alors la camoufler, en recouvrant la piste et en plantant des arbres.

A la sortie de la guerre, la piste est inutilisable et tout le site est vendu à la compagnie Vickers-Amstrong, qui détruira en partie les virages surélevés pour permettre à ses pilotes d’essais de décoller et d’atterrir plus facilement. C’est là qu’en 1961, gouvernements français et britannique signent l’acte de naissance du Concorde.

Malgré l’ouverture d’un musée en 1989, la piste se dégrade petit à petit, le pont Hennebique s’est effondré lors d’une tempête en 1969. Le circuit semble voué à la disparition, jusqu’à ce qu’en 2004, Daimler UK décide d’acheter la piste pour y installer son Mercedes-Benz World, comprenant des salles d’expositions, des expériences sensorielles ainsi qu’une salle de conférence. En 2015, il est annoncé que le circuit va recevoir une aide de 8,5 millions de livres pour restaurer le circuit et les bâtiments alentours.

Si le circuit n’est désormais plus utilisé, il a sans aucun doute permis au sport automobile de devenir ce qu’il est aujourd’hui. Parmi ses “descendants directs” se trouve le circuit d’Indianapolis. Construit en 1909 sur son modèle, il accueille aujourd’hui la course des 500 miles, faisant partie des trois courses mythiques constituant la Triple Couronne du sport automobile : les 500 miles d’Indianapolis, le Grand Prix de Monaco de F1 et les 24 heures du Mans.

Si l’histoire des époux King Locke vous intéresse, vous pouvez lire ici les souvenirs de leur petit-neveu.